01.2.2 Constructions

Quand Amélia Jones émet trois méthodes différentes, trois positions où peut se situer la femme photographiée au sein du travail de Cindy Sherman, nous allons voir que celles-ci peuvent se confronter à trois positions de l’identité.

Comment la femme peut chercher malgré tout à résister à ce fameux œil projectif masculin, phallique, sans « l’accompagner » ? :
En italiques, au sein de ces point de vue, je mets en exergue le lien avec la problématique de l’identité ;

- 1 par une attitude de soumission, Cindy Sherman interprète des rôles, travaille sur une multitude de personnages, son identité ne transparaîtrait pas.

- 2 Par la mascarade, c’est ici que se tramerait le travail sur sa propre identité en tant que recherche, par différents codes répétitifs dans ses image où son identité pourrait se révéler.

- 3 En brouillant le regard projectif masculin, L’identité de Cindy Sherman ici devient incertaine et difficile à déterminer, sous couvert de ce flou, il y aurait identité multiple.

Ce troisième point de vue étant pour Amélia Jones le meilleur, consistant à renvoyer le regard sur celui qui dirige, dans l’homme. Pour Krauss, les Untitled Film Still présenté dans le contexte du regard projectif masculin, montrent le caractère performatif par la mise en scène, le caractère « construit » de la féminité.

Les Untitled Film Stills déterminent la représentation comme un effet de l’ordre. Voire la représentation sexuelle, ce qui n’est pas explicitement le but de Cindy Sherman.

Il semblerait que je n’arrive pas à m’empêcher de donner à tout ce que je fais un coté sexuel, « politique » ou « lourd », ce qui n’est pas tout à fait ce que je veux.[1]

Si chacun doit construire sa propre identité, on remarque ici que cette identité devient quelque chose qui se construit toujours dans son rapport à l’autre.

REAR SCREEN PROJECTIONS ( 1980 )

ill.10

Untitled #66, 1980

Cindy Sherman n’est pas insérée dans la perspective (ill.4), elle est en avant. Cette projection est intéressante, elle est propulsée vers l’extérieur, elle est en avant, elle est dans la même position que le spectateur masculin, elle est dans la position du regardant.

La théorie de Amélia Jones est qu’elle est alors placée comme un spectateur et qui elle réussit à échapper dit-elle à la tyrannie du regard masculin.

ill.11

Untitled #138

1984

Mais Amélia Jones n’est pas persuadée qu’il n’y ait rien derrière ces prothèses. Pour elle la pratique de Cindy Sherman démontre l’idée que le corps est une façade dissimulant le caractère bas, informe, trivial. Même si ce qui est masqué est abject, il y aurait une essence, une essence basse, qui réapparaîtrait dans les travaux suivants (vomi, défections etc.) ;

Ces prothèses dissimulent un sens contrairement à l’idée de Rosalind Krauss[2], pour qui il serait complètement vain d’aller chercher une vérité profonde derrière ces prothèses, pour qui la féminité est une essence vide.

Cindy Sherman à l’intérieur d’une même image peut ouvrir une faille entre deux moi incompatibles comme dans la série Fashion ( 1983-1984 ).

ill.12 Juergen Teller pour Comme des garçons, model : Kate Moss

ill.13 Juergen Teller pour Comme des garçons, model : Anita Pallenberg

Dans Untitled #138 extrait de la série (ill.11), il y a contradiction entre l’image de mode et la pose de Cindy Sherman où elle n’a pas une expression à l’image des magazines et où ses mains sont ensanglantées. Il y a contradiction entre deux identités, la rhétorique de l’époque de l’image fashion et un côté violent, un peu horreur et série b. Néanmoins il s’agit ici d’un travail de commande de la marque « Comme des garçons ».

Si le travail de Cindy Sherman se veut critique et qu’elle utilise les supports mit à sa disposition pour mieux les contrecarrer (ici le magazine), les rôles peuvent s’inverser, et c’est la photo dite de mode qui après coup, reprend le style « Sherman » aujourd’hui.

Où l’on pourrait dire que les photos de Cindy Sherman correspondent bien à l’image de « Comme des garçons » (ill.12 et ill.13[3]) tel que le montre Juergen Teller, l’un des photographes « star » de la marque où les poses sont anti-pose de mode et les modèles bien loin des critères de « l’époque Sherman ».

Est-ce que malgré tout Cindy Sherman n’interpréterait-elle qu’une savante gamme de rôle ou est-ce qu’il y aurait quelque chose derrière cette mascarade ? à savoir une ou des identités ?.

On trouve cette thèse chez Elene G. Landau[4], le fait que l’on essaye de savoir ce qu’il y a derrière, que l’on y voit, où que l’on y voit rien est du je pense à l’observation chronologique de l’ensemble du travail de Cindy Sherman qui nous amène à une difficulté à définir une identité car celle-ci devient

(…) instable et incertaine, au fur à mesure que les rôles sociaux s’affaiblissent[5]

disent François Dubet et Danilo Martuccelli, à l’exemple des modèles identitaires dont elle s’habille.

Edgar Morin[6] explique que notre vie sociale est régie par des rôles en s’appuyant sur les notions de role-taking et de role-playing. Mais qu’un rôle joué et répété, tel un enseignement, n’est plus un masque, incrusté dans l’identité, il en fait partie intégrante, prêt à son tour à se nourrir d’autres rôles.

Les rôles sociaux sont des personnalités stéréotypées, ambassadrices du Moi à l’égard d’autrui.[7]

Chacun se forme par mille imitations. Certains gardent ou développent un don mimétique.[8]

Il n’est pas impossible pour cette théorie que Cindy Sherman influe sa propre identité en incarnant les personnages de ses travaux, et, pourquoi pas, non pas devienne l’un d’eux, mais en soit l’addition, que son identité ne se cache pas donc dessous, mais dans l’addition de ses personnages multiples, et je pourrais dire de ses identités multiples.

[1] Op. Cit. p 202, Cindy Sherman, Carnets 18/10.

[2] Rosalind Krauss et Alain Yves Bois, Informe, mode d’emploi, Paris, Centre George Pompidou, 1992.

[3] . Photographies extraites du magazine : Purple Fashion numéro 7, Ed purple institute, 2001.

p.152 ;Lutz & Comme des garçons #1, English Friends, by Juergen Teller.

[4] Elene G. Landau, Cindy Sherman déconstruite ? Une reconstruction , Tr. Fr. Cahiers du musé national d’art moderne n°48, Paris, Centre George Pompidou, 1992.

[5] François DUBET, Danilo MARTUCELLI, Dans quelle société vivons-nous ?, Paris, Seuil, 1998. p210.

[6] Edgar MORIN, L’Identité humaine, La Méthode, tome 5 : L’Humanité de L’Humanité, Paris, Seuil, 2001. p81.

[7] Ibid. p81.

[8] Ibid. P82.

01.2.2 Constructions Quand Amélia Jones émet

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