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imultiple
16 septembre 2005

01.1.3.2 Vers le vide, la non-essence de soi Pour

01.1.3.2 Vers le vide, la non-essence de soi

Pour Lacan tant la masculinité que la féminité sont affaire de mascarade. Pour Solomon Godeau l’œuvre de Claude Cahun montre qu’il n’y a que mascarade, « fiction »  de soi, qu’il n’y a pas d’identité, pas d’essence de soi.

                               

Une idée qui tend partiellement à rejoindre celle de Rosalind Krauss sur Cindy Sherman, du fait que sous le masque, il n’y aurait rien. Mais, pour Krauss, ceci serait seulement le cas de la femme. Ce même si Krauss s’oppose à la thèse selon laquelle la femme en tant que telle, pour le matriarcat, serait seulement une image, qui ne seraient pas les images mass-médiatiques de la femme, qui seraient à condamner mais, de façon, plus générale, la réduction de la femme à une image.


Le post-modernisme doit critiquer la représentation mais est-ce que la faille n’est pas même dans quelque chose qui n’existe que dans un état « trafiqué » ?

Le travestissement ne consiste pas en un acte d’expropriation ou d’appropriation, la mascarade constitue le biais mondain par lequel on s’approprie s’exproprie le genre.


Le genre est toujours une sorte d’imitation pour laquelle il n’y a pas d’original. Où bien l’original est produit par l’imitation paradoxe qui rend l’original inexistant et dépendant toujours d’un autre, on rejoint ici une idée qui sera développée dans le chapitre sur le double de ce mémoire, où la créature tends à être une reproduction dès sa création. Claude Cahun a recours à toutes sortes d’identifications de l’ordre de l’imaginaire par opposition au symbolique. Dans l’un de ses premiers autoportraits, Cléo de Merode, en 1918, elle se met en scène comme un double virtuel où elle s’identifie, s’imagine en Cléo.

Pour Peter WEIBEL[1], le moi de chacun et de chacune est une reproduction, une performance, une mascarade, sélectionnée parmi des images que la société nous donne à voir.

Mais les reproductions de Cahun viennent de ses rôles de théâtre et ne sont pas issus véritablement du contexte des mass-médias. Reste un lien au travers de son propre univers avec des questions identitaires au sein de la sphère artistique, en l’occurrence le corps féminin tel qu’érotisé dans une certaine mesure par l’art surréaliste. Chez Cahun l’identité sexuelle n’est pas prédéfinie et se forge indépendamment du corps.

(…) lorsque les corps sont produits surtout par les dimensions génériques, il existe toujours la possibilité de s’en dessaisir.[2]

C’est ce que fait Claude Cahun, elle se dessaisi de son corps originel pour non pas se reconstruire autrement, mais se construire tout simplement,

Dans l’ensemble, les photographies de Cahun minimisent ou effacent le corps en tant que tel, l’omettent, le dématérialisent autant que possible(…).[3]

Mais Claude Cahun ne revendique aucune identité sexuelle dit Abigail Solomon-Godeau et même :

Claude Cahun n’accepte ni ne revendique une identité lesbienne. [4]

Ni vraiment revendiquée, ni clairement questionnée. Elle apparaît comme une composante d’une attitude psychologique complexe, polymorphe qui objecte à toute catégorisation.[5]

ill. 2

Claude Cahun et Moore, Aveux non avenus, photomontage, 1929- 1930

Elle ne peut (ni ne veut ? ) demeurer ni femme, ni homme ni lesbienne ou tout autre forme d’identité sexuelle ou de genre que l’on voudrait lui accoller, c’est peut être cela la notion de « devenir », sans fin.

Le « devenir femme » implique la notion d’être « femme au final » suivant donc ses propres critères, mais avec une finitude, un arrêt donc de la construction pour arriver à un résultat, pour arriver à un état indistinctement de son sexe physique originel. Mais je pense que le devenir ici est l’état en lui même (l’état de construction), qu’il ne va pas vers quelques chose, mais qu’il est. C’est en ce sens, je pense, que Claude Cahun au travers de ses travaux refuse toute définition catégorielle. Et l’on pourrait se permettre de voir l’identité de Cahun comme une identité en mutation constante.

ill. 3

Claude Cahun, autoportrait,  1928.

ill. 4

Claude Cahun, autoportrait,  1928.

ill. 5

Autoportrait, 1929, Bifur n°5, 1930

Ainsi son être étant à la fois indéfini et en re-définition constante serait à la fois tout et rien, un être malléable et permutable en son propre sein. Ce qui ne veut pas dire qu’elle ne cherche pas à se construire son moi, mais consciemment ou non, il n’y pas et il n’y aura pas de finitude.

N’interprétons-nous pas trop vite la notion d’androgyne lorsque nous appliquons à Claude Cahun ?. L’androgyne est toujours mis en rapport avec quelque chose qui tends vers le masculin ou le féminin, qui est plus de l’ordre de l’addition équilibrée de deux sexes en un. Mais Claude Cahun dit ne tendre à n’aller ni vers un état masculin ni féminin ; ne pourrait-on y voir ici un acte précurseur à l’hybridation.

L’androgyne est finalement assez définissable (oscillant toujours entre homme femme), tandis que l’hybride est plus proche de l’état de mutation, il donne quelque chose qui n’est pas forcément connu. Au fur à mesure de ses travaux, Claude Cahun s’hybride elle-même aussi à travers ses montages (ill. 2), en y mélangeant les photos où elle semblait parfois féminine et parfois masculine. D’un point de vue d’ensemble Claude Cahun arbore des postures féminines ou masculines  tant par l’expression (ill.3) que par les vêtements (ill.4). Lorsqu’elle passe d’un vêtement à un autre, elle passe d’une identité à une autre, on pourrait être dans la personnalité multiple si l’on construisait son identité à travers le vêtement. Mais Claude Cahun va plus loin, dans le sens où elle ne passe pas d’un masque à un autre, mais où elle soulève, retire, ses masques les uns après les autres.

Sous ce masque un autre masque. Je n’en finirai pas de soulever tout ces visages.

( citation du montage ill.2, page 20)

Et certains masques laissent parfois des séquelles qui viennent se greffer sur les suivants. C’est pour cela que j’y vois plutôt un état de mutation et de métamorphose identitaires.

L’illustration 5 est peut-être l’une des plus signifiantes de la volonté de Claude Cahun de ne revendiquer aucune identité sexuelle précise, ni faire sentir aucune ambiguïté, contrairement toutefois à certaine d’autres de ses photos. Il n’y a donc pas chez Claude Cahun d’identité multiple scindée en « plusieurs », mais une identité singulière qui tendrait à jouer avec ses sous-couches, parfois marquant l’une plus que l’autres. Il ne s’agit pas de personnalités multiples, chaque masque ici entretient un rapport avec l’autre, parce qu’ils coexistent entre eux, ils se révèlent, se détruisent, se donnent naissance, Les plusieurs « moi » se fréquente et se mélangent au sein d’un Je unique.

Etre plusieurs tensions qui ne se réduisent ni ne se résolvent, mais se relancent suivant cette volonté d’être infiniment autre que ce qu’on est, c’est-à-dire, en définitive, d’atteindre à son propre mythe : ce moment même où l’être s’identifie à ses métamorphoses.[6]


Le mythe, c’est mythifier quelque chose, c’est le surcharger (…) d’un signifier « mythique », « idéologique » [7]

Ce vers quoi semble parfois tendre Cahun, mais Roland Barthes souligne que cette mythification vient par la surcharge, le « trop », ce vers quoi en partie les travaux de Cindy Sherman tendent davantage au cours de leur évolution.


[1] Peter WEIBEL, L’Art de Klauke, Entre politique, subversions et actions performatives, tr. fr. Le Désastre du moi, œuvres récentes 1996-2001, Paris, MEP 2001.

[2] Danilo MARTUCELLI, Grammaires de l’individu, Paris, Gallimard, 2002. p 416.

[3] ABIGAIL SOLOMON-GODEAU, Le « Je » équivoque, Claude Cahun, sujet lesbien, 1999, Tr. Fr. Cahiers du musée national d’art moderne n°80, Paris, Centre George Pompidou, été 2002.

[4] Op. Cit.

[5]  François LEPERLIER, Claude Cahun, L’écart et la métamorphose, Paris, J.M.Place, 1992

[6] François LEPERLIER, Claude Cahun, L’écart et la métamorphose, Paris, J.M.Place, 1992

[7] Roland BARTHES, Le Mythe, aujourd’hui, Mythologies, Paris, Seuil, 1957.

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